J’ai retrouvé pour ma plus grande joie ces bribes de texte dans mon carnet de voyage du Maroc ; c’était il y a 3 ans jour pour jour.
Un road trip aventurier – visionnaire – inoubliable – marquant qui raisonne encore si fort aujourd’hui dans mes choix de vie que j’avais envie de les reformuler pour partager ici ces quelques lignes.

Ils s’appellent Ahmed et Aziz.
Ils ont la cinquantaine passée ; ils sont nés illettrés et devenus érudits.
Ils se sont formés eux mêmes à l’agroécologie.
Ils ont des belles mains de travailleurs. Des mains d’hommes.
Ils ont ce savoir précieux de la terre qui forge la connaissance et les expériences.
Pour eux le mot travailler n’existe pas c’est le jeu, l’amusement, la réflexion.

Ils font partie de ces hommes qui n’ont pas eu peur de parcourir le Maroc à pieds, de faire des cinquantaines de kilomètres parfois même dans la nuit noire sans lampe pour garder les troupeaux dans les montagnes reculées, de dormir à la belle étoile pour veiller sur ces derniers. L’autre voyage.
Ils ont cette faculté rare de tenter des choses et de prendre le temps de les voir évoluer.

Ahmed ou l’école de la vie
Ahmed 54 ans est le rebelle du Rif, le rebelle du Kif (l’appellation du canabis). Le génie.
Il connaît sa montagne comme personne et sert de guide avec plaisir pour les touristes.
Il connaît les meilleurs endroits, les meilleures piscines naturelles, les meilleurs arbres pour monter le hamac.
Il a décidé d’aller à contre courant pour se forger sa réputation du « bio » « Ahmed le bio »
Il a aménagé son potager et un lieu de vie que beaucoup de jardiniers lui envieraient.
Il est très bon cuisinier : il prépare le tajine unique avec les légumes bio de son potager.
Il est professeur. L’école du savoir et du partage. Il peut t’apprendre en deux minutes à reconnaître les plantes sauvages qui te soignent et à concocter le meilleur des thés à la menthe comme à faire des nœuds si solides que personne ne pourrait les défaire.
Son potager est un lieu bien pensé où le seul liquide accepté est l’eau qui coule des montagnes.
Il y a des ruches, un endroit pour le compost, un autre pour les boutures, des cuves pour stocker l’eau.

Non aux produits chimiques. Ahmed fabrique ses médicaments maison.
Il expérimente l’azote avec du tabac macéré ou du savon noir sur des feuilles de choux pour les soigner.
Ahmed utilise des mots simples, des mots d’enfants presque pour faire comprendre que cette technique marche ou ne marche pas ; « je sais faire ». Il a tout compris au solaire. Sait combien le plastique fait des ravages, les produits chimiques causent les maladies et autres malformations.
Il transmet tout son savoir à son fils de 11 ans déjà très curieux de la nature et de la richesse de ce potager.
La réflexion. Le temps. Pour construire son toit pour comprendre l’irrigation et les rouages du climat.
Ahmed se documente aussi avec ses amis français il confectionne son herbier, se renseigne sur les plantes médicinales le nom arabe versus français.
Plus besoin d’ordinateur ou de livre. Oubliés au contact de cet homme formidable… et pour le cinéma rendez-vous à quelques pas de là : la vue panoramique des montagnes majestueuses du Rif au coucher du soleil.
Chez lui et il le clame au et fort c’est l’école de la vie.

Aziz le joyeux joueur
Aziz a 50 ans. Il est connu comme le loup blanc à Kermett son village natal. Lui aussi ne te parlera jamais de travail mais de jeu. La vie est un jeu. Faire refaire et rerefaire !
Il aime apprendre et il est le responsable du rucher école de Tazaa. Une fonction sur mesure pour cet utopiste.
Il connaît les techniques de la terre. Il sait repérer les sources d’eau.
Comme Ahmed il a envie de transmettre son savoir et est devenu formateur dans l’association Terre et Humanisme Maroc.
Aziz est très joueur, très rieur et farceur. Il rigole tout le temps et porte fièrement la casquette de l’association THM. Il est issu de la 3eme génération des formations.
Très actif à toutes les échelles il a su mailler le tissu associatif local.
Transformer son village pour y faire revenir les jeunes.
Grand fan de Maurice Chaudière, lorsque Maurice est venu à Kermett il a vite cerné Aziz et lui a donné un livre différent celui des forêts fruitières ou comment transformer des forêts. Lui aussi voudrait transmettre son savoir jusqu’à l’age de 80 ans. Il prône le laboratoire d’expériences : les greffes qu’il maitrise grâce au maître.
La plus grande fierté d’Aziz  : admirer ses greffes de pistachiers sans oublier sa famille aimante.
Il sera toujours disponible pour vous sauf le dimanche le jour sacré pour… la chasse !

Dans ce Maroc à deux vitesses j’étais venue chercher le temps et ses vertus.
J’ai retrouvé avec Ahmed et Aziz des valeurs que nous avons quelque peu perdu en France : la solidarité, le partage du savoir, la persévérance et la générosité.
Mon plus grand souhait : retourner les visiter pour passer du bon temps tous ensemble, leur présenter mon fils et le laisser s’amuser des heures sur ces terrains de jeu d’exception.